
La harpe, cet instrument millénaire, a toujours semblé porter en elle le poids de son propre cliché : la douceur angélique, les arpèges cristallins, la bienséance des orchestres classiques. Oubliez tout ! Avec « Bohème », son nouvel opus à paraître le 19 septembre 2025, Kety Fusco ne se contente pas de dépoussiérer l’instrument ; elle le désosse, le magnétise, le torture pour en extraire une âme insoupçonnée, une modernité brute et fascinante. Cet album n’est pas une simple collection de morceaux, c’est un manifeste. La déclaration d’indépendance d’un instrument enfin libéré de ses chaînes dorées.
Dès les premières secondes, « Bohème » nous plonge dans un territoire sonore inconnu. Kety Fusco, en véritable démiurge, a décrété une règle d’or : chaque son, chaque pulsation, chaque souffle doit émaner de la harpe. Mais ne vous attendez pas à reconnaître le velours habituel de ses cordes. Ici, elles sont griffées, frappées, frottées, transformées en générateurs de textures électroniques, en nappes ambiantes inquiétantes ou en rythmiques industrielles. L’illusion est parfaite, le tour de force magistral.
L’album s’ouvre sur des paysages sonores qui évoquent des villes abandonnées sous une pluie de néons. Le premier single, BLOW, en est la parfaite introduction : la harpe y devient vent, battement de cœur, chuchotement synthétique. C’est une pièce à la fois organique et robotique, où la chaleur originelle de l’instrument se heurte à la froideur des glitches électroniques. On pense à une rencontre improbable entre la poésie d’un Nils Frahm et la radicalité d’un Aphex Twin, mais avec un vocabulaire entièrement neuf.
Le génie de Fusco réside dans cette capacité à créer un dialogue constant entre la tradition et l’avant-garde. Cela culmine sur SHE , le morceau-phare de l’album, où la voix sépulcrale d’Iggy Pop vient hanter la composition. Inspirée par une remarque du « Godfather of Punk » lui-même, qui déplorait qu’on n’entende pas assez la harpe, cette collaboration est une lettre d’amour autant qu’un cri de guerre. La voix de l’Iguane, grave et prophétique, se pose sur les textures de Fusco comme une évidence, créant un pont entre deux mondes, deux libertés. C’est un duo puissant, une passation de flambeau entre deux générations de rebelles.
Plus loin, Bohème explore des contrées encore plus expérimentales. On y croise des morceaux qui flirtent avec la musique concrète, où la caisse de résonance de la harpe devient une chambre d’écho pour des percussions tribales futuristes. Puis, au détour d’une plage plus apaisée, la pureté d’une note réussit à percer l’épaisse couche de traitement sonore, nous rappelant la source de cette révolution. L’émotion, toujours palpable, naît de cette tension, de cette fragilité qui survit au chaos.
En bonus, l’audacieuse relecture du « Für Elise » de Beethoven, rebaptisé de son nom originel Für Therese, agit comme une restauration historique et sonore. Fusco ne joue pas la mélodie, elle la déconstruit, la distord, la fait crier. C’est un Beethoven écorché vif, rendu à sa passion brute, loin de la douceur des boîtes à musique. La harpe n’accompagne plus, elle hurle une vérité oubliée.
« Bohème » est un album qui demande une écoute active, une immersion totale. C’est une œuvre exigeante mais profondément généreuse, qui redéfinit les frontières d’un instrument que l’on croyait connaître. Kety Fusco s’impose non plus comme une simple harpiste, mais comme une architecte du son, une visionnaire qui nous invite à perdre nos repères pour mieux nous retrouver. En cette rentrée 2025, « Bohème » n’est pas seulement un grand disque, c’est un souffle de liberté, un grand frisson de modernité. Indispensable.
Artiste : KETY FUSCO
Album : BOHEME
Date de sortie : 19/09/2025
Label : A TREE IN A FIELD RECORDS