
Il y a des ténèbres que l’on attend avec une impatience fébrile. La sortie d’un nouvel album de FRAYLE fait partie de ces rituels. Depuis son envoûtant « Skin & Sorrow« , le duo de Cleveland a solidifié son trône au sommet d’un genre qu’il a lui-même redéfini : le « witch-doom« , cet alliage paradoxal entre la lourdeur écrasante du doom metal et la fragilité spectrale d’une voix pop éthérée. Avec « Heretics & Lullabies« , Gwyn Strang et Sean Bilovecky ne se contentent pas de confirmer leur statut. Ils signent leur grimoire le plus abouti, une œuvre qui porte dans son titre même la clé de leur art : la dualité.
Dès les premières secondes de Walking Wounded, le morceau d’ouverture, le ton est donné. Un riff tellurique, si lourd qu’il semble creuser la terre, s’installe avec la lenteur d’une procession funéraire. C’est la signature de Bilovecky, cette capacité à créer des murs de fuzz à la fois menaçants et hypnotiques. Mais au-dessus de ce maelstrom de distorsion, la voix de Gwyn s’élève, claire et incantatoire. Elle n’est plus seulement une présence fantomatique ; elle est le guide, la prêtresse d’une cérémonie occulte dont nous sommes les disciples consentants.
Ce qui frappe sur « Heretics & Lullabies« , c’est la maturité de l’écriture. Le passage chez Napalm Records semble leur avoir donné les moyens d’explorer des textures sonores plus riches, plus profondes. La production est massive, caverneuse, mais laisse à chaque élément l’espace pour respirer. Les basses sont abyssales, la batterie martiale et la voix de Gwyn, bien que toujours aérienne, gagne en assurance, se parant parfois de chœurs spectraux qui ajoutent une dimension quasi-religieuse à l’ensemble.
L’album est un jeu de bascule permanent entre ses deux concepts. Les « Heretics » se retrouvent dans des pistes comme Demons ou Glass Blown Heart, où la fureur doom est à son paroxysme. Les guitares gémissent, le rythme est implacable et les textes, plus sombres que jamais, explorent des thèmes de blasphème, de rébellion contre le dogme et d’affirmation de soi face à l’oppression.
Puis viennent les Lullabies. Loin d’être de simples balades, ce sont des accalmies faussement apaisantes. Sur Souvenirs Of Your Betrayals, une mélodie presque enfantine portée par une vague de saturation, créant un sentiment de malaise sublime. C’est la berceuse que l’on chanterait à un démon pour l’endormir. La performance vocale de Gwyn y est poignante, naviguant entre la caresse et la menace avec une aisance déconcertante. C’est dans ces moments que FRAYLE est le plus terrifiant et le plus beau.
Le chef-d’œuvre de l’album pourrait bien être la piste Hymn For The Living. Le groupe synthétise tout son savoir-faire. Le morceau alterne des passages acoustiques d’une tristesse infinie et des explosions de violence doom d’une puissance inouïe. C’est une messe noire et un requiem, une déclaration de guerre et une prière murmurée dans la même litanie. Sans oublier la reprise de Lana Del Rey, Summertime Sadness, qui a été le 1er single de ce nouvel album et qui, à mon sens, a su détrôner l’original !
En conclusion, « Heretics & Lullabies » n’est pas une révolution, mais une consécration. FRAYLE ne cherche pas à réinventer sa formule, il la pousse à son paroxysme. L’album est un monolithe noir, poli par des larmes de fantôme. Plus lourd, plus mélodique et infiniment plus audacieux que ses prédécesseurs, il est la preuve que la plus grande puissance peut naître du contraste le plus absolu. Une œuvre vénéneuse et indispensable pour quiconque aime sa musique lourde, belle et hantée. L’automne 2025 sera placé sous le signe du sabbat.
Artiste : FRAYLE
Album : Heretics & Lullabies
Date de sortie : 10/10/2025
Label : Napalm Records