Chronique – THRICE « Horizons / West »

Le 3 octobre 2025, THRICE a dévoilé le chapitre complémentaire de son œuvre de 2021, Horizons/East. Intitulé, sans surprise, Horizons/West, ce douzième album studio se présente non pas comme un simple prolongement, mais comme le contrepoint philosophique et sonore de son prédécesseur. Si l’Est symbolisait l’aube et l’unité, l’Ouest nous plonge dans la nuit, la confrontation et la nécessité de « décrypter la réalité » selon les mots du leader Dustin Kensrue.

Dès l’ouverture, « Blackout« , l’atmosphère est posée : électronique, sombre et pleine d’une tension latente qui ne demande qu’à exploser. Fini le réveil serein, le groupe nous confronte à l’incertitude du monde moderne, l’influence des algorithmes et des chambres d’écho sociales.

Les deux singles révélés avant la sortie de l’album dessinaient déjà le spectre émotionnel et musical de l’œuvre.

Véritable décharge de post-hardcore, « Gnash » a rappelé aux fans les heures les plus intenses du groupe. Brut, implacable, avec ses accents électroniques glitchy et son riff cinglant, il incarne la « confrontation » et la « propulsion brute » de l’album. C’est le côté sombre et agressif de l’Ouest, qui ne recule devant rien pour exprimer la rage face à la dissonance.

En contrepartie, « Albatross » offre une facette plus mélodique et texturée, jouant sur un rock alternatif teinté de grunge, le tout soutenu par un travail remarquable d’Eddie Breckenridge à la basse. Ce titre explore les « relations tragiques et ambivalentes », portant le poids poétique et introspectif de Kensrue, tout en laissant filtrer des « éclats de lumière » dans l’obscurité.

Ce qui frappe dans Horizons/West, c’est la maturité avec laquelle Thrice manie son identité composite. L’album n’est pas une simple compilation de leurs différentes époques (du post-hardcore de la jeunesse au rock progressif et électronique de la maturité), mais une synthèse aboutie. Les moments de fureur coexistent naturellement avec des passages atmosphériques et expérimentaux.

Des titres comme « The Dark Glow » ou même la montée progressive de « Vesper Light » rappellent l’exploration texturale de l’ère The Alchemy Index, utilisant l’électronique pour créer un sentiment d’inquiétude, voire de désespoir à la Radiohead.

Le groupe excelle à entremêler les textures et l’espace avec des moments de pure énergie. La voix de Kensrue est plus que jamais un point d’ancrage émotionnel, passant d’un murmure hanté à un cri déchirant (« throat-tearing crescendo »). La section rythmique (les frères Riley et Eddie Breckenridge) assure une base solide, le jeu de basse étant particulièrement mis en avant, créant une colonne vertébrale menaçante ou, à l’inverse, étonnamment légère (« Crooked Shadows », « Distant Suns »).

Si Horizons/East se terminait par l’apaisement lumineux de « Unitive/East », Horizons/West trouve sa propre résolution dans le méditatif « Unitive/West ». Mais l’apaisement est ici différent : il est plus spirituel, plus éthéré, obtenu après une lutte acharnée, et non comme un point de départ.

Horizons/West est un album ambitieux, risqué et profondément ressenti. Il est sombre, exigeant et ne propose pas de réponses faciles aux questions qu’il pose. Il demande à l’auditeur d’être « éveillé » et de plonger dans un kaléidoscope sonore qui mêle le post-hardcore, le rock progressif, l’électronica et des touches de grunge.

Il s’inscrit non seulement comme le digne successeur d’un grand album, mais comme une déclaration audacieuse en soi. Thrice prouve qu’après plus de deux décennies, il continue de repousser ses frontières, de chercher, d’évoluer, et surtout, de rester pertinent dans sa quête d’une vérité complexe au milieu du chaos.

Pour les fans de longue date, l’album est une récompense : on y retrouve la familiarité d’un groupe en pleine possession de ses moyens, mais avec une croissance constante. Pour les nouveaux venus, c’est un point d’entrée riche et stimulant dans l’univers d’un groupe qui refuse la nostalgie facile pour privilégier l’évolution. L’Ouest est sombre, mais le voyage en vaut largement la peine.