
J’ai eu l’occasion d’interviewer Tūranga Morgan-Edmonds, bassiste d’ALIEN WEAPONRY le 15 avril 2025. L’album Te Rā, troisième album du groupe est sorti le 28 mars et cette entrevue nous a permis de développer les thèmes évoqués mais aussi l’omniprésence de leurs origines dans leur musique…
L’album Te Rā est sorti le 28 mars, il y a presque un mois. Comment vous vous sentez aujourd’hui par rapport à l’album ?
C’est fou. On a posté sur les réseaux sociaux l’autre jour, que l’accueil de l’album était un peu fou. C’était génial de voir tout cet amour et l’appréciation de notre travail. On a travaillé si fort pendant les quatre dernières années et on voit tous nos espoirs et nos désirs se concrétiser. La façon dont les gens répondent est exactement la façon dont nous avions espéré qu’ils répondent. Bien sûr, nous pouvons être aussi fiers que nous pouvons mais c’est le public qui va décider de la direction que va prendre l’album. Il y a eu tellement d’amour pour notre travail, c’était assez étonnant et génial de le voir. On a hâte de revenir sur scène et de commencer à jouer ces chansons en direct pour les gens. On vient de terminer une tournée en Nouvelle-Zélande juste avant la sortie de l’album et on a joué toutes les nouvelles chansons avant que personne ne les ait encore écoutées. C’était une sorte de remerciement pour notre pays, pour le lieu qui a fait tout ça pour le groupe.
Quand on a écrit l’album, l’un des changements majoritaires qu’on a fait, c’était de penser spécifiquement à la façon dont les chansons se traduisent sur scène. Donc quand on a pu jouer certaines de ces nouvelles chansons en direct sur la tournée en Nouvelle-Zélande, on a pu voir qu’on ne s’était pas trompés, surtout en considérant que les gens n’avaient jamais entendu les chansons et qu’ils répétaient déjà bien. Maintenant que les gens connaissent les chansons, on est super excité de sortir sur la route et de les jouer !
Peux-tu-m’expliquer ce que vous vouliez exprimer dans l’album ?
Pour cet album, l’une des approches que nous avons essayé de faire, vous savez, c’est cette scène amusante dans la carrière d’une bande, l’album numéro 3, où vous allez vous mettre au sol dans l’industrie ou vous pourriez bien retourner à votre travail du jour. En particulier si vous venez de la Nouvelle-Zélande, ça nous prend beaucoup pour aller en Europe, pour aller en Amérique du Nord et tous ces endroits où nous passons la plupart du temps. Ce n’est pas comme si on a toujours le luxe d’essayer à nouveau et à nouveau. Bien sûr, si t’es vraiment persistant et que t’es 100% sûr que c’est ce que tu veux faire, il arrive quand même un moment où tu dois vraiment t’assurer que tu fais le meilleur travail que tu peux car c’est le moment de faire ou de lâcher. Et pour nous, c’était cet album numéro 3, parce que, quand l’album numéro 2 est sorti, c’était en pleine pandémie, donc le groupe avait une très forte trajectoire avec l’album de début, qui a explosé sur la scène. C’était comme, « wow, qui est ce groupe ? » Et puis la pandémie, c’était comme un mur de brique, boum, plus de tournage. Ça n’était pas unique pour nous, ça a affecté de nombreux groupes autour du monde, bien sûr. Mais quand on a sorti l’album numéro 2, à cause de toutes ces choses, il n’a pas vraiment impacté comme nous le voulions. Nous avions besoin de réaliser où nous en étions en entrant dans l’album numéro 3 et à quel point c’était important. Donc, nous avons repensé, nous avons réfléchi « qu’est-ce que nous devons faire ? Qu’est-ce que les gens aiment de notre groupe ? Comment pouvons-nous leur donner ça ? Et comment pouvons-nous mettre tout ça dans un album ? » Qu’est-ce que les gens avaient aimé dans le premier album ? La patte musicale mais surtout l’élément culturel. Qu’est-ce que les gens avaient aimé du deuxième album ? Les améliorations techniques. Donc, essayons de trouver un juste milieu entre ces deux albums. Et ça a été notre focus pour ce troisième album. On a remarqué que le public apprécie vraiment nos performances en live même s’ils n’aiment pas forcément les morceaux. On a vu un commentaire qui disait ne pas s’intéresser à la musique sur Spotify mais qui recommandait de venir nous regarder en live. Donc les gens aiment vraiment nos shows. On a remarqué que les morceaux du deuxième album n’étaient pas bien traduits en live. Josh Wilber, le producteur avec qui on a travaillé pour la première fois, a apporté encore plus de choses en terme de développement et de formation de notre son, maintenant reconnu comme le son d’Alien Weaponry. Et c’est un des points de feedback positifs qu’on a reçu autour de cet album. « C’est comme s’ils avaient finalement trouvé leur son. »
Le premier album était nouveau, le deuxième était une tentative de trouver quelque chose de nouveau mais peut être que nous ne sommes pas arrivés au résultat voulu. Maintenant on est revenu à cette section plus développée des deux albums et les gens disent que nous sommes à notre prime.
De ton point de vue, tu la ressens cette amélioration ? Comment te sens-tu?
Je pense que oui parce que si on compare le deuxième album, le focus sur l’évolution ou le changement était sur un élément de notre musique. Le deuxième album, par exemple, c’était une amélioration dans le domaine technique. Mais peut-être que dans ce processus, on perd le live show. C’était une évolution et maintenant on évolue sur toutes les branches du truc pour essayer de fournir un meilleur travail.
Quels sont les sujets que vous ressentez le besoin d’exprimer et pourquoi est-ce que c’est le cas?
On ne se pose pas pour se dire « nous devons parler de ces choses » et écrire ensuite les paroles. Non, on écrit juste ce que l’on pense. Cela peut, en fonction de l’approche, faire un album lyriquement incohérent.
Dans le cas de cet album, beaucoup de chansons sont basées sur ce qui se passe autour de nous. Les réseaux sociaux sont liés aux guerres mondiales et aux conflits internationaux. Bien sûr, nous ajoutons à nos textes notre matière historique ou culturelle concernant les Maoris. Donc il n’y a pas vraiment de processus de pensée derrière le fait que nous devons parler de ces choses. Lewis écrit les paroles en anglais, moi j’ai écrit la plupart des choses en maori. La différence entre les deux langues est intéressante et précieuse. Lewis écrit en anglais ce qui l’a touché personnellement, sa santé mentale, ses relations, la façon dont il répond aux choses qui se passent autour du monde, les réseaux sociaux, la guerre. Pour les textes en maoris, c‘est une histoire que je souhaite raconter, un peu d’histoire que je voudrais partager, un peu d’awareness que je voudrais apporter. Certaines choses, comme « Mau Moko », c’est parce que j’étais touché par ça. « Crown », c’est à propos des taux d’incarcération entre les groupes minoritaires. Je n’ai jamais été en prison. Ce n’est pas quelque chose qui m’a touché mais c’est quelque chose pour lequel je pense qu’il est important d’apporter de la sensibilisation. Les paroles en maori sont un peu plus vagues et viennent de choses que je pense importantes à partager.
Comment les gens du pays accueillent votre musique ? Est-ce que vous avez les mêmes reconnaissances qu’à l’échelle internationale ?
C’est un peu différent ici. La raison principale de cette différence est que les éléments maoris sont reçus beaucoup plus négativement ici, ou peuvent être reçus beaucoup plus négativement en Nouvelle-Zélande qu’ils sont à l’étranger. C’est à cause de l’histoire coloniale. Mais cela se passe partout. Je regarde les gens qui viennent à nos shows, par exemple, en Amérique du Nord. Je me demande s’ils auraient eu le même engouement pour un groupe natif américain. C’est ce qu’on a ici, en Nouvelle-Zélande. On chante des choses maoris et concernant le colonialisme. Il y a beaucoup de gens qui disent en avoir marre d’entendre tout ça. On a fait une tournée en Nouvelle-Zélande il y a un mois, on a vu beaucoup plus de jeunes venir à nos shows. Ces jeunes n’ont pas les mêmes attaches qu’une certaine génération, ils n’ont pas la même négativité sur ce genre de sujets controversés. C’est en train d’évoluer en Nouvelle-Zélande mais ce n’est pas aussi fort que les réactions autour du monde.
Pour les gens de l’autre côté du monde, c’est exotique, c’est différent. Pour les gens d’ici, c’est quelque chose dont ils ont toujours entendu parler et ça dépend de l’aspect positif ou négatif.
Comment réagissent-ils au fait que vous mixez la musique métal et les traditions Maoris ?
C’est une généralisation mais le métal est un genre prédominant en Europe.
Ici, en Nouvelle-Zélande, vous remarquerez qu’il y a beaucoup de gens blancs, non-maoris, public prédominant du metal dans ce pays. Le métal n’est pas si populaire dans notre pays. C’est déjà un genre de niche.
Il y a aussi une partie de ce groupe qui est raciste. Ils n’aiment pas ce que nous faisons. Parfois, ce n’est pas notre musique qu’ils n’aiment pas, c‘est ce que nous chantons ou le fait que nous chantions en langue maori. Quand nous étions jeunes, on nous disait que personne ne s’intéresserait à notre langue. Mais à chaque fois que nous jouons à l’étranger, que ce soit devant 100 personnes dans un petit restaurant de Paris, ou au Hellfest, devant des milliers de personnes, ça prouve que cette phrase n’est pas vraie. Par ce que nous faisons, nous rappelons que les gens s’intéressent à nous, à l’extérieur de notre propre pays.
C’est agréable de voir qu’il y a beaucoup plus d’amour et de soutien pour la culture maori que ce que l’on peut imaginer. C’est vraiment génial, d’un autre côté, de voir que les maoris, en général, s’intéressent au R&B, au reggae, au hip-hop, à tous ces genres. Et ce que nous voyons, c’est qu’il y a de plus en plus de maoris qui viennent à nos shows et qui disent « Je ne vais jamais aller à des concerts de heavy metal, c’est la première fois que j’y vais, mais j’aime ce que vous faites pour nos gens, pour notre langue. »
J’aime la façon dont notre langue sonne dans ce genre de musique. Parfois, ils disent « Je n’aime pas vos chansons en anglais ». Nous aimons élargir les horizons et nous ne sommes pas trop inquiets de ce que les gens racistes pensent de notre musique mais nous aimons bien entendre des commentaires positifs des nôtres sur notre musique.
C’est génial de voir cela, tout ça se développe et c’est encore mieux quand on voit beaucoup de maoris à l’étranger. À New York et à Vegas, on avait des Maoris devant avec leur flèche maoris. C’est vraiment cool de voir les gens du monde entier se sentir un peu plus proches de la maison pour eux.
Tu m’as dit que l’image était importante pour montrer des éléments culturels dans les clips vidéos. À quel point c’est important pour vous de les mettre en image ?
C’est vraiment important parce que on chante en langue étrangère. Si tu ne comprends pas exactement ce dont nous parlons ou que tu prends une traduction, nous attendons que la majorité de notre public ne sache jamais ce que nous chantons. Parce que pas tout le monde s’en soucie. Certains disent juste qu’ils aiment le son et c’est tout. Ils ne regardent jamais ce que nous chantons dans les traductions. Nous devons donc assumer que la majorité de notre public est dans cette catégorie. Nos clips sont importants pour développer et étendre nos messages. Comme pour « Mau Moko », par exemple. Les lyrics concernent le Moko, un tatouage traditionnel. La vidéo est un développement évolutionnaire sur l’idée générale des paroles, du thème. Parfois, nous n’avons pas besoin de faire des vidéos qui sont une copie de ce que nous chantons. C’est une opportunité pour nous d’étendre la connaissance et la compréhension d’un sujet. Les chansons sur le Moko, le commerce de la tête, sont une section de l’histoire. Elles sont liées mais elles ne se reflètent pas l’une à l’autre.
Nous avons fini de filmer notre prochaine vidéo il y a un une semaine. Les gens seront peut être surpris par la manière dont on traite le sujet. Quand ils découvrent les paroles, ils se disent qu’ils comprennent. Pour nous, les clips supplémentent notre musique et nos messages.
Nous sommes issus d’une communauté dont il existe de nombreuses générations ethniques. Beaucoup de nos vidéos représentent les Maoris les plus sombres. Mais c‘est important pour nous de représenter toute la communauté des Maoris. C’est important pour nous d’apprendre la culture.
Je tiens, pour finir à remercier tous ceux qui ont écouté l’album jusqu’ici. Nous apprécions votre soutien.
J’espère que nous pourrons jouer dans votre ville ou partout dans le monde. C’est ce que nous travaillons pour que l’on puisse jouer cette musique.