
Comme chaque année depuis 2019, un mystérieux trio suisse prénommé Aara sort de son antre pour nous donner à écouter le fruit de son année de travail. Et chaque nouvelle sortie est toujours intrigante et excitante tant le black metal atmosphérique proposé par le trio masqué s’est rapidement fait une solide réputation de par la très grande qualité de chacun de ses albums. Après un bon premier album, “So fallen alle Tempel”, le groupe commence à se faire remarquer en 2020 avec son deuxième effort, “En Ergô Einai”, qui met un beau coup de projecteur sur le groupe. Mais le meilleur reste à venir. En effet, l’année suivante, Aara sort le premier volet de son triptyque d’albums basé sur l’œuvre de Charles Robert Maturin, “Melmoth ou l’Homme errant”. C’est simple, « Triade » est selon moi, une des meilleures trilogies d’albums que le style ait pu nous donner. C’est puissant, évocateur, et réussir à tenir une telle maestria sur trois albums est juste dingue. Avec sa triade, Aara s’est véritablement propulsé comme un groupe à suivre de très près. Et voici que pour bien terminer cette mirobolante année 2024, le trio suisse revient en ce froid et pluvieux mois de décembre nous compter la tragique histoire d’alpinisme du mont Eiger avec son sixième album, “Eiger”, sorti sur le hautement qualitatif label français Debemur Morti Productions (Blut Aus Nord, Archgoat, Akhlys, White Ward, Ulcerate…).
Le mont Eiger est un sommet des Alpes suisses culminant à 3967 mètres, dont le versant Nord est réputé pour sa difficulté. Avec un dénivelé d’environ 1650 mètres, nombreux furent les alpinistes voulant atteindre le sommet en passant par ce versant, qui fut le théâtre de nombreux et dramatiques accidents coûtant la vie d’énormément d’alpinistes chevronnés. L’un des accidents les plus dramatiques fut en 1936, où cinq alpinistes perdirent la vie en tentant l’ascension. C’est précisément sur ce tragique accident qu’Aara s’est basé pour “Eiger”. La puissante et évocatrice pochette d’album nous donne le vertige avec cette reprise d’une des photos de l’expédition avec ce flanc de montagne quasiment à la verticale, ainsi que cet alpiniste pendu à sa corde, mort.
De violentes bourrasques viennent refroidir l’atmosphère, un alpiniste nous interpelle, puis les puissantes guitares de “Die das wilde Wetter fängt” se font entendre ,et nous sommes instantanément enveloppés, pétrifiés par ce maelstrom sonore impitoyable et terrifiant. Dès les premières notes, le trio suisse réussit à capter notre attention et notre imagination pour nous immerger au plus près de ces pauvres âmes tentant l’impossible. Les riffs, tout en tremolo, sont d’une puissance évocatrice imparable et rendent compte à chaque changement de rythme, du côté impitoyable de ce mont Eiger ne se laissant pas dompter. Chaque morceau vient accentuer ce sentiment de danger et d’oppression. Et lorsque le rythme ralentit, nous laissant respirer quelque peu, c’est pour repartir de plus belle, nous dirigeant, bien malgré nous, vers une fin tragique. Les morceaux “Senkrechte Welten”, “Todesbiwak” ou encore “Der Wahnsinn dort im Abgrund” sont véritablement déchirants. C’est d’une telle intensité que nous sommes happés, subjugués et sans voix…
Chaque album d’Aara est une invitation à l’introspection et au voyage, certes pas forcément des plus plaisantes, mais tellement intense et nécessaire. Bien que divisé en huit pistes, l’album est à prendre dans son ensemble, car c’est comme cela que nous nous rendons compte de l’envergure affolante de cet album. C’est d’une richesse grandiose qu’il est dur de capter en seulement quelques écoutes.
Bien que faisant plus de 55 minutes, “Eiger” réussit à capter notre attention du début à la fin, tant Aara a un sens de la composition fantastique et semble inépuisable, lui permettant de nous délivrer des œuvres aussi cruelles que majestueuses. Et bien qu’étant d’une noirceur sans pitié, il se dégage une majesté et une véritable beauté de la musique d’Aara, un mur de son rendant palpable ce gargantuesque mont Eiger aussi majestueux que cruel. Mais ce qui rend l’album aussi captivant, ce sont ces quelques éléments de sound design (bruits de mousquetons, alpinistes qui éructent, bourrasques de vent…), donnant un côté quasiment cinématographique à l’album. C’est très léger mais cela rajoute une dimension supplémentaire, pour notre plus grand plaisir.
Avec ce nouvel album, Aara se montre toujours aussi inspiré et devient progressivement une des formations incontournables du style, si ce n’est pas déjà le cas. Pour moi, c’est déjà culte. Aara clôt une année juste affolante en sortie de haute volée. Nous pouvons maintenant nous pencher sur 2025, qui s’annonce sous de très beaux auspices !

AARA – « Eiger »
6 décembre 2024
Debemur Morti Productions